Du 24 au 26 octobre dernier, la seconde édition du festival Pop & Psy a décoré le Ground Control, à Paris. Initié en 2022 par Jean-Victor Blanc (médecin psychiatre à l’APHP et auteur), Florence Trédez (journaliste au ELLE) et Emmanuelle Fellous, c'est un évènement culturel et scientifique à but non lucratif, inclusif et engagé pour la santé mentale. Les objectifs : dépoussiérer les idées reçues sur les troubles psychiques, éduquer avec une approche scientifique et ludique, dé-stigmatiser et libérer la parole grâce à des partages d’expérience inspirants et enfin favoriser l’inclusion des personnes concernées. Il y avait une scène d’où on pouvait assister à des tables rondes, talks et concerts, une librairie avec des séances dédicaces, des stands d’informations autour de la santé mentale, un espace pour des ateliers… Joly Môme y a passé 2 jours. On te raconte tout !
(Dans cet article, je cite ce qui a été dit lors de tables rondes ou de conférences, mais ce n’est pas du mot à mot. Je retranscris néanmoins les idées transmises du mieux possible.)
ANDREA BESCOND : “Ce qui m’a le plus aidé au final, c'est de transformer mon trauma, d’en faire le moteur de ma force et de mes combats.”
Au tout début de mon programme, la rencontre avec Andréa Bescond. Réalisatrice connue pour son combat contre les violences sexuelles et ses oeuvres autour de la pédocriminalité et de l’inceste, elle produit également activement sur les réseaux sociaux des posts instagram de textes blancs sur carré noir dénonçant des actes et hommes violents. Elle était comédienne dans la pièce de théâtre autobiographique Les Chatouilles ou la Danse de la colère autour des violences pédocriminelles, ce qui lui fait obtenir le Molière seule en scène en 2016. Cette pièce est ensuite adaptée au cinéma, et elle obtient alors le César de la meilleure adaptation.
Je ne peux pas tout dire des quarante minutes de discussion car tout était intéressant, mais je retiens quelques phrases qui m’ont beaucoup marqué :
“Savoir que je n'étais pas seule et rencontrer d'autres victimes de pédocriminalité, ça m’a aidé à lutter contre ma culpabilité et mon sentiment de solitude. On est pas libéré uniquement par la parole. Ce qui m’a le plus aidé au final, c'est de transformer mon trauma, d’en faire le moteur de ma force et de mes combats. Ça n'empêche pas sa violence et ses conséquences difficiles, mais ça le transforme en une énergie utile.”
TABLE RONDE "L'INCLUSION AU TRAVAIL DES PERSONNES CONCERNEES PAR LES HANDICAPS PSYCHIQUES ET INVISIBLES"
Ensuite, j’ai assisté à une table ronde autour de L’inclusion au travail des personnes concernées par un handicap invisible / psychique. Sur scène : Alice Devès (média sensibilisant aux handicaps invisibles par des interviews, podcast, bd, favorisant les témoignages), Anne-Sarah Kertudo (fondatrice de Droit Pluriel, association de références pour toutes les questions relatives à l’accessibilité de la justice, pour informer les personnes concernées par le handicap de leurs droits et pour former les professionnels à l’inclusivité), Nicolas Rainteau (psychiatre au CHU de Montpellier, responsable des centres de réhabilitation psychosociale de Montpellier et auteur) et Sandrine Broutin (directrice de la Fondation Falret depuis 2016).
“À l'heure d'aujourd'hui, être une personne avec un handicap invisible et chercher un travail nécessite un équilibre constant pour savoir ce qu'on divulgue ou non. Même en démarrant le processus d'embauche ou de réinsertion au travail, ça prend beaucoup de temps avant de trouver quelque chose parce qu'on remet constamment en question vos compétences à cause de votre handicap, et les relais handicap des administrations classiques comme Pôle emploi sont rarement formées aux handicaps psychiques. Et une fois embauché, il y a un manque de communication entre l’employeur et l’employé. Peur de montrer sa RQTH, de demander des aménagements, incompréhensions, ignorances, l’employé finit parfois par cacher ses difficultés et se met en danger.”
LE VILLAGE SOLIDAIRE : DES STANDS POUR TOUS LES BESOINS
Ce fut les deux conférences de mon vendredi ! J’ai ensuite été voir les quelques stands d’informations : Droit Pluriel, Nightline, ComPare Dépression, 3114, GHU, La Maison Perchée, CEAPSY, Ramsay Santé, Fondation Falret… De nombreuses associations et organismes se trouvaient là pour fournir des explications et des aides au public. De quoi trouver l’aide dont on a besoin, quelle qu’elle soit ! Je me suis ensuite éclipsée, laissant les dernières conférences et les concerts se dérouler pendant que je dormais. L’ambiance avait l’air dingue, avec l’iconique Nadiya qui a chanté ses tubes !
TABLE RONDE "ÊTRE AIDANT" : "Le malade est constamment confronté à des éléments contraignants, même quand il ne fait rien physiquement. Quand on pense qu'il ne fait que de se lamenter au fond de son lit, c'est faux : il lutte de toutes ses forces contre tous les obstacles qu'il a dans son esprit."
Après une bonne nuit de sommeil, je suis retournée au Ground Control le samedi suivant. La première table ronde du jour fut sûrement ma conférence préférée de l’événement. La thématique : Être aidant. Sur scène, il y avait des mères dont l’une fondatrice de l’association La maison perchée qui aide les personnes concernées par les handicaps psy et leurs proches, ainsi qu’un psychiatre, une journaliste, une psychologue membre de la Fondation Falret. Ce fut très enrichissant, et ça a sûrement permis à beaucoup de personnes d’ouvrir leurs perspectives sur les maladies psychiques.
Les conseils pour les aidants que j’ai retiré de cette conférence :
- On ne peut pas bien faire avec des clichés. Il faut apprendre, et accepter qu’il faudra aussi informer autrui. Il faut apprendre à faire avec.
- La famille doit être considérée par les professionnels de santé. Il faut trouver des professionnels de santé qui vous considèrent vous en tant que proche, vous expliquent, et qui respectent votre enfant, qui s'engage pour rendre son quotidien plus simple. Ce n’est pas toujours évident, mais c’est très important.
- Ne pas s’isoler dans l’angoisse, la honte, la culpabilité, l’incompréhension. Garder du lien avec son enfant, les bons professionnels, les pairs aidants. Il existe de plus en plus de groupe de paroles de famille aidante, comme La maison Perchée à Paris avec son programme d’accompagnement La Boussole. C’est important de rencontrer des pairs, car ça peut donner des modèles de rétablissement ou des idées de fonctionnements différents.
- Trouver des espaces de répit pour toi. Il faut savoir identifier ses propres besoins malgré le fait de souvent mettre les besoins du malade au cœur de la famille. C’est important d’écouter et de considérer toute la famille, comme les frères et soeurs qui sont souvent mis à l’écart.
“Ne pas essayer de trouver la cause, la réponse. Trouver simplement les questions qui enseignent sur le fonctionnement, qui soulignent tous les nombreux facteurs liés à la maladie et leurs liens entre eux. Il faut utiliser une méthode socratique pour aider au mieux un malade : poser des questions, accepter de ne pas avoir de réponses simples, continuer de chercher les possibles. C'est hyper important de prendre en compte que ce n'est pas simple, c'est jamais simple. Une maladie psychique est un amas de complexités. Mais ça veut aussi dire qu'il y a des marges d'évolution. Le malade est constamment confronté à des éléments contraignants, même quand il ne fait rien physiquement. Quand on pense qu'il ne fait que de se lamenter au fond de son lit, c'est faux : il lutte de toutes ses forces contre tous les obstacles qu'il a dans son esprit. Le réel du patient, et ce qui peut l’aider, c'est dans les détails. Comme cuisiner une tarte aux pommes ensemble, offrir un t-shirt, recevoir un gentil message, etc. Il faut faciliter la rencontre, avec un élément qui favorise le lien. Quand on considère un malade, il y a un aller retour entre questionnements autour de la singularité en tant qu'individu avec des caractéristiques uniques, et le collectif qui a évidemment un impact sur la personne. En ne considérant qu'un, on n'aide pas forcément comme il faut. Dans tous les cas, rien ne pourra expliquer avec certitude ce qui se passe. Considérer en même temps la société et l’individu est difficile, mais utile. Dire d'un ado qui use de substances que la seule explication est qu'il est entouré de mauvaises fréquentations, c'est en quelque sorte nier son individualité. Il faut poser des questions, sans jugement, respectueusement. Encore une fois, il faut intégrer cette idée de complexités.”
CAMILLE LELLOUCHE : LES ENJEUX PSYCHOLOGIQUES DE SA MATERNITE
S'ensuit le talk de Camille Lellouche, actrice, humoriste et chanteuse française. Elle a notamment acquis une notoriété auprès du grand public avec ses performances humoristiques et musicales sur YouTube et avec sa participation à l'émission The Voice : La Plus Belle Voix en 2015. En 2021, elle reçoit avec Grand Corps Malade une Victoire de la chanson originale pour le titre Mais je t'aime. Durant son talk, elle aborde les questions de santé mentale autour de la grossesse puis de la maternité, car elle a une fille de 18 mois. Pleine de son enthousiasme caractéristique, elle aborde la sévère dépression qu’elle a faite il y a une quinzaine d’années, les problèmes d’addiction qu’elle a eu à cette même période, la difficulté d’être très sensible dans notre société et d’autant plus dans l’industrie du cinéma et de la musique, l’aide qu’a été l’écriture pour surmonter certaines épreuves, son envie d’écrire des choses toujours différentes, etc.
“On parle beaucoup de la beauté de la grossesse et de l'accouchement, comme étant presque faciles, alors que moi c'était pas forcément incroyable voire quasi traumatisant. Je connais peu de femmes pour qui c'était facile d'ailleurs.”
MARIE DARRIEUSSECQ : ÊTRE INSOMNIAQUE
Juste après elle, la conférence de Marie Darrieussecq commence. Écrivaine, ancienne normalienne, ancienne psychanalyste, elle a publié une vingtaine de livres, surtout des romans, et des nouvelles, une biographie, une pièce de théâtre, des essais, des traductions. Depuis Truismes en 1996, elle est fidèle à son éditeur POL. Prix Médicis en 2013 pour son roman Il faut beaucoup aimer les hommes, elle collabore à des magazines d’art contemporain en France et en Grande-Bretagne. Elle a reçu le Prix CIEF pour l’ensemble de son œuvre, qui est traduite dans de nombreux pays. Pas Dormir, un essai sur l’insomnie, est paru chez POL en septembre 2021. Son nouveau roman Fabriquer une femme paraîtra chez POL en janvier 2024.
C’est pour aborder l’insomnie qu’elle est venue au festival, dont elle est concernée, et qui a résulté à l’écriture de son essai Pas Dormir. On lui demande si elle a alors des conseils contre l’insomnie, ce à quoi elle répond : “Pas plus qu’ailleurs. Essayez tout ce qu’on vous propose, si ça marche tant mieux. Mais ça ne marchera peut-être pas, parce que c’est trop dur à tenir et que ça vous met en échec. Il y a des progrès qui se font autour de la chimie du sommeil pour aider à lutter contre l’insomnie, et j’y crois bien plus qu’en la fichue hygiène du sommeil qui ne fonctionne que sur une minorité.”
“Les écrivains qui me plaisent sont les écrivains de l'ombre, de la nuit, ceux qui ne dorment pas. Il y a un rapport à la réalité différent, et une forme d'absurdité d’être incapable de simplement dormir, comme une forme de comique de répétition. Tous ont aussi réagi de la même manière à l'insomnie et l'angoisse qu'elle procure : l'automédication ou la prise de substances, qui peut être dangereuse, et ça fait du bien de voir les gens que j'admire dans les mêmes états de détresse.”
TABLE RONDE "LE COUT MENTAL DU RACISME" : “Les femmes noires sont fortes, certes, mais les femmes noires ont aussi droit au repos, les femmes noires ont aussi droit au bien-être.”
Puis il était l’heure de ma dernière table ronde : Le coût mental du racisme. Sur scène, Fatou Diome (écrivaine sénégalaise), Rahmeth Radjack (pédopsychiatrie transculturelle d’origine indienne, c’est-à-dire une approche de la psychiatrie de l’enfant/adolescent prenant en compte la dimension culturelle dans la représentation du soin), Grace Ly (écrivaine et coanimatrice du podcast Kiffe ta race, franco-sino-cambodgienne), Essie Assibu (journaliste ghanéenne-américaine basée à Paris), Nadim Bel Lallahom (activiste LGBT+ et pour les personnes de quartiers populaires et danseur d’origine tunisienne) et Marie Alix de Putter (fondatrice de Bluemind Foundation, autour de la santé mentale en Afrique).
“On a tellement peu de chiffres sur le racisme, parce qu'on continue de dire ce dogme de “ne pas considérer la race”. Ce qu'on ne mesure pas, n'existe pas. [...] Chaque fois que je suis victime de racisme, je décide que je ne suis pas victime. Depuis que je suis née, je suis victime, alors j'ai appris à ne plus l'être. C'est usant, je mourrais plus tôt, mais ce n'est pas grave. On est dans un sujet très émotionnel donc très douloureux. Ce qui m'aide, c'est d'avancer. Chaque fois qu'on essaie de dire qu'il faut posséder notre passé, ça ne veut rien dire de plus que se contenter de ce qui est. Tu es mieux que ce qu'on fait de toi. Je ne nie pas la douleur des autres. Les femmes noires sont fortes, certes, mais les femmes noires ont aussi droit au repos et au bien-être. Mais lève-toi et fais quelque chose pour toi. Ça veut pas dire qu'on va réussir, ça veut dire qu'on aura essayé. Crée ta propre armure mentale.”
BILAN
Je suis sortie de cet événement enrichie de nouvelles perspectives, questions, réponses, idées, envies. Étant passionnée de psychologie, j’y ai écouté et rencontré des personnes passionnées et passionnantes pour aborder chacune à leur manière différentes thématiques, toutes aussi importantes. J’ai adoré, et je vous souhaite infiniment de vous y rendre à la prochaine édition !
Commentaires
Aucun commentaire n'a été trouvé !