Société

Un sentiment à soi

Publié le 8 juin 2024

J’avais écrit enfant dans un journal vouloir me marier avec un homme médecin (sûrement dû à mon amour passionné pour la série télévisée Docteur Quinn, où j’étais fascinée par cette femme médecin, mais surtout visiblement très intéressée par son mari Sully.) J’ai grandi comme la plupart des individus nés dans le début des années 2000, en regardant LOL à la télé et en rêvant de vivre les moments d’amour de Lola et Maël (sucette partagée, musique dans les oreilles, assis côte à côte dans le métro.) 

Sans citer tous les films produits en l’espace d’une 10aine d’années, le constat est évident : les couples hétérosexuels étaient clairement omniprésents, pour ne pas dire les seuls présents. 

Je n'ai aucun souvenir de couples homosexuels, si ça n’est avec Adèle Exarchopoulos dans La vie d’Adèle en 2013 (et quand nous connaissons aujourd’hui les conditions du tournage…). J’ai également un autre souvenir, celui d’un livre Les maux bleus de Christine Féret-Fleury, paru en 2018. C’était une claque. Comment vivre désormais, en ayant conscience qu’Armelle, 16 ans était expulsée de chez ses parents pour son homosexualité. Comment vivre en ayant compris qu’Armelle ne serait jamais la seule. Qu’elle serait le visage et le prénom de tous ceux qui se trouveraient dans cette même situation.

Et puis c’est le trou noir. Souvenirs anéantis. Quelles ont été mes représentations homosexuelles entre ce film de 2013 et ce livre de 2018 ? Et avant quelles étaient-elles? 

Honnêtement, aucune idée. Je n’ai aucun souvenir à ce sujet. Je pense que la réponse est simple : il n’y avait pas.

Ce que je sais, c’est qu’en 2018 j’ai commencé à comprendre. 

Les femmes que j’avais toujours trouvées belles, devenaient attirantes. 

Les questions sont alors nées, sans véritable guide de survie sur le bas-côté. 

À ce moment, par intérêt, par curiosité, par “appartenance”, j’ai eu besoin de réels exemples de couples amoureux et homosexuels. 

Je voyais l’amour hétérosexuel, mais l’amour homosexuel n’était pas mis en avant. Comme inexistant. Insultant. Caché. A ne surtout pas montrer. Pas d’amour. Pas d'appartenance. Pas de douceur. Pas de singularité. Pas de complicité. 

J’étais énervée (et je suis) des quelques apparitions à la télévision, où les couples homosexuels ne faisaient que coucher ensemble, sans sentiment, sans amour. 

Du sexe pour du sexe.

Alors que faire. De cette dualité. De cette opposition. De cette confrontation. Quelles sont les attentes à mon égard ? Que faire d’une sexualité sur-représentée mais d’un amour inexistant ? Le présent et le passé se torturent entre eux. Je ne savais pas faire. Je ne saurais pas. J’accepte. 

Ma révolution c’est Skam france en 2019 qui abolit cette image de sexualité à outrance, avec Lucas et Eliott, ici les scènes étaient réelles, des scènes d’amour et de complicité. Des scènes de la vraie vie, tout simplement. Assurément, c’est la première fois où j’ai vu deux hommes s’aimer, autrement que dans un lit et à la télévision. Cette série a grandi avec moi, ou très certainement l’inverse (mais j’aime imaginer que cela c’est produit en ce sens). Le fait est qu’en 2022 c’est le couple de Lola et Maya qui révolutionne une seconde fois l’image que nous avons des couples, cette fois-ci lesbiens. 

Cet article ne ferait pas sens si je ne citais pas ces deux autres références, qui m’ont bercé et rassuré au besoin. Comment ne pas parler du titre “séduction” de Joanna, écouté depuis 2020. Une révélation à mon cœur.  Ressentir les moindres mots prononcés, pour une fois. Pour la première fois. (La boucle s’est bouclée quand j’ai pu lui dire merci il y a quelques semaines. Merci pour les mots. Merci pour les images. Merci simplement)

“Oups mon regard s'est égaré dans le creux de ton décolleté
J'suis une femme qui d'habitude n'aime pas les femmes

Mais ta beauté est ineffable”
“Ce soir mon cœur est lié à ton corps
Tes hanches développées à ton âme”


En souvenir, en réconfort : faisons une pause, et écoutons là, ensemble. 

https://open.spotify.com/intl-fr/track/2H09bSJVI89XAwHiftxMMb?si=fa6ed85cbdfa4185
https://youtu.be/C75uNva-3Uc?si=QMErsNANH62amPdr

La deuxième référence est un autre livre, publié en 2019 : 40LGBT qui ont changé le monde. Je me souviens ne jamais l’avoir lu entièrement (cependant, je le vois sur mon étagère chaque fois que je rends visite à mon ancienne chambre colorée.) Les illustrations étaient belles, les textes bien amenés, je m’y plongeais quand je me sentais seule, seule au milieu de toute cette nouveauté. (Remarque à moi-même; je comprends presque seulement aujourd’hui d’où vient cet attrait pour la musique et la littérature. Quand je mêle réalité, livre lu, film vu ou musique entendue, je comprends. Aujourd’hui je comprends : merci pour l’accompagnement.)

La thématique que j’aimerais aborder est la suivante. J’entends très souvent qu’après des “comings-outs”, qu’ils soient imposés, annoncés librement, avec stress et crainte ou de manière totalement informelle. Il arrive des ruptures familiales, amicales, parentales, professionnelles…

(La réalité est que ce terme “coming-out” est de plus en plus rejeté par ma génération. Nous désirerions le supprimer de notre langage, tant le mot que l’exercice lui-même. Je ressens ce ras-le-bol général, mais la vérité est que sans cesse nous sommes confrontés à des annonces et des rectifications face à la société hétéro-normée dans laquelle nous vivons. Ça n’est ni un désir ni une volonté, mais bien un réel besoin de se définir.)

Je pense ici à toutes les fois où je suis contrainte par ces annonces, lorsque je dois mentionner que non, je ne vis pas avec un homme mais bien avec une femme. Lorsque je prends un rendez-vous chez le dentiste pour ma copine et moi, mais que la secrétaire ne semble pas comprendre pourquoi “compagne”, quand d’office lors d’une conversation on me demande si j’ai un copain, sans laisser d’espace, de place, de possibilité à l’existence de ma copine. Devoir sans cesse affirmer, contredire, réaffirmer, et parfois simplement, ne pas avoir la force de rectifier, avoir peur de la réaction de la personne en face. Ne plus avoir la force, simplement.

Pour revenir à ce sujet qui encore aujourd’hui me glissera des mains, je n’ai vécu aucune rupture familiale ou amicale. La seule rupture que j’ai connue était individuelle, personnelle, intime. Et je vois très peu de témoignage de cette dimension, alors voici. Je repense à cette petite fille qui n’avait pour représentations que des couples hétérosexuels, qui n’avait pas de désir de maternité, mais savait qu’elle le pouvait naturellement, celle qui savait qu’elle pouvait se marier facilement avec un homme. Je me souviens de cette jeune fille qui a compris que combat et amour ne seraient désormais jamais bien loin. Je me souviens m’être dit que j’allais devoir quitter la France si je voulais un enfant avec la femme que j’aimerai. Je me souviens de cette infirmière de lycée qui avait rigolé quand j’avais demandé si je devais me protéger dans un t’apprît sexuel lesbien, et qui m’avait assuré que non. (La bonne réponse est : OUI, absolument.) Je me souviens m’être dit que je ne ferais pas l’amour pour avoir un enfant, mais que cela rimerait avec papiers, décisions et rendez-vous. Je me souviens avoir eu peur que le mariage ne soit plus légal en France au moment où je voudrais me marier. Je me souviens que les personnes homosexuelles ont eu le droit de se marier en France depuis 2013 seulement. Et je me souviens de ce jour. Je me souviens que l’homosexualité était (et est toujours) un crime puni dans d’autres pays. Je me souviens avoir réalisé que certains d’entre nous étaient battus à mort dans la rue, pour tenir la main à la personne qu’ils aimaient. Je me souviens m'être rendu compte que tout ce que j'avais projeté et imaginé allait devoir être recalculé. Je me souviens de mes premières relations amoureuses. De l’amour mis sur pause, pour cause de représailles parentales. 

Je me souviens de ma colère, alors que je venais de me rencontrer et que je ne cessais d’apprendre sur moi-même, je devais porter le poids de la haine des autres. 

Alors très souvent, je pense à cette petite fille qui à grandi au milieu des livres, dans son imaginaire constitué de playmobils et de petshop, qui ne pouvait pas savoir que la société rejetterait son identité à bien des égards, quelques années plus tard. Aujourd’hui je pense à elle et j’écris. Pour que l’homosexualité ne soit jamais un problème. Pour que des articles existent, pour comprendre que l’ont est pas seuls. Pour mettre en avant des références qui m’ont aidée. Parce qu’elle aurait aimé un guide de survie, que ça n’en est pas un. Mais que c’est ce qui lui a servi. 

Je me souviens aussi de la première fois où je l’ai vue, des sensations nouvelles au creux de mon ventre. Je me souviens de ce baiser sous un abribus. Je me souviens de la peur de tenir sa main. De l’envie. Mais surtout de la peur. 

J’ai grandi dans une famille ouverte où mon orientation sexuelle n’a été une question pour personne. Dans une famille qui allait manifester, contre toutes formes d’oppressions. Dans une famille qui disait les choses. Je me souviens de mon frère qui m’a simplement dit “je comprends, moi aussi j’aime les femmes”, de ma maman qui m’a demandé si j’avais une amoureuse, de mon papa qui a souri. 

La peine n’existait qu’en moi.

Je me suis retrouvée là, l’amour au cœur mais seule.

Il ne convenait qu’à moi, d’accepter. D’accepter cet amour naissant. Accepter que les choses changent. 

Suite à ça, l’incompréhension est devenue révolte. 

Je mentirais à dire que je n’ai plus peur, parce que parfois encore je lâche sa main dans la rue. Sa main que j’aimerais tenir fermement. 

Aujourd’hui, je vais bien. 

Les larmes coulent sur mes joues lorsque j’entends Hoshi chanter Amour Censure au printemps de Bourges, la fierté se lit sur mon visage lorsque je vois que Kid d’Eddy de Pretto figure dans les manuels scolaires, je me sens forte lorsque je vois sur instagram la vie de mamans lesbiennes. Je nous sens puissants, quand je vois des travaux artistiques affirmant cette identité sexuelle. 

Il a encore tant de choses à dire.

Pour la première fois, je ne sais comment terminer un article. 
En ce mercredi 29 mai, la loi pour interdire les transitions des mineures transgenre vient d’être votée. Alors depuis ce matin, j’ai de la colère dans le cœur. Et j’espère ne jamais avoir à dire à mon enfant, “on aurait pu le faire, mais le 29 mai 2024, la France à voté contre. Contre l’accompagnement des mineurs trans. Contre le fait d’être soi. Contre la liberté de faire ses propres choix”. 
Dimanche 9 juin se dérouleront les Européennes et je constate chaque jour la position des autres. Je m’en inquiète. 
Dans une dizaine de jours j’aurais vingt ans. 

Par Andrea Mary

Dernière modification le 08/06/2024 à 10h48

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