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Le film Barbie : féminisme ou pinkwashing ?

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Qui n’a pas entendu parler du film Barbie sorti le mois dernier ? Tant attendu, avec un casting de super stars, une bande originale haute en couleur et une esthétique vie en rose, la réalisatrice Greta Gerwig nous présente un récit contemporain et merveilleux de l’iconique poupée. 

Depuis sa sortie, c’est un événement. Chaque séance de cinéma est l’occasion pour les spectateur.ices de s’habiller sur leurs plus flamboyants 31. Il a le meilleur démarrage de 2023 aux Etats-Unis, le meilleur démarrage de tous les temps pour un film réalisé par une femme, cumule déjà plus de 3 milliards de dollars dès la troisième semaine après sa sortie. Contrairement aux précédents film sur la franchise, ce film est réalisé en prises de vues réelles et surtout, s’adresse à un large public avec une histoire féministe et des thématiques particulières comme celle de la maternité, de la charge mentale, etc. C’est pourquoi cet article ne servira pas de critique cinématographique ni de publicité, mais concernera plutôt une réflexion que de nombreux milieux militants et féministes abordent autour de la nouvelle œuvre de Greta Gerwig : est-ce que le film Barbie est un pur produit du pinkwashing ou est-ce une oeuvre féministe ?

Cet article ne comporte pas de spoilers, mais reste plus compréhensible si vous avez déjà vu l’oeuvre

Une oeuvre empreinte de pinkwashing

Le “pinkwashing” est un terme anglophone utilisé de plus en plus souvent pour faire référence aux marques et produits qui capitalisent sur la lutte féministe, qui devient alors uniquement un argument de vente à défaut d’une véritable réflexion. Se questionner sur le film Barbie et son pinkwashing potentiel est totalement compréhensible. Mattel, l’entreprise de jouet qui produit Barbie depuis 1959, est également une des sociétés de production du film et a donc eu une grande influence sur la réalisation, le scénario, les activités promotionnelles, etc. Nous pouvons alors sans difficulté déduire le manque d’objectivité du film et de son équipe. Plusieurs passages souvent comiques dans le récit pointent du doigt des sujets régulièrement mis sur la table par les luttes féministes, comme le manque de femmes dans la gestion des institutions et entreprises. L'impact de la représentation des corps dans l’imaginaire collectif est aussi traitée, avec un point d’honneur sur le corps des Barbie perçu comme parfait alors que surréaliste : élancé, avec une taille de guêpe et un écart entre les cuisses. Si le film se veut ironique et plein d’auto-dérision, avec des critiques explicites émises contre Barbie et un côté enfantin presque ridicule, ça ne retire pas le fait que Mattel fabrique une poupée dite “parfaite” qui a forgé la représentation d’un corps (blanc, mince, grand, etc) comme étant la norme à de très nombreuses personnes. Le corps des femmes est sans cesse discuté, scruté, jugé, et Mattel nous offre une œuvre qui accepte son implication dans cette norme, sans pour autant contrebalancer l’impact que ça a eu sur le bien-être de millions de personnes. 

Depuis quelques années, la marque se veut de plus en plus inclusive, avec des poupées plus modernes aux corps plus proportionnels à la réalité. On y voit également des poupées racisées, aux cheveux crépus, handicapées, représentant des maladies de la peau, voilées, grosses, etc. Mais il est difficile de croire que Mattel a une vraie intention d’inclusivité et de représentation des public marginalisés. En 64 ans d’existence, ce n’est que très dernièrement que le produit fut modifié, uniquement car ses recettes déclinaient et que le public perdait intérêt. Changer un produit pour correspondre aux attentes du public n’est qu’une stratégie marketing et réaliser un film dans la même veine ne permet pas du tout de témoigner d’une vraie réflexion autour du féminisme et de la place des personnes marginalisées dans la société. De plus, les usines de production de la poupée sont situées en Chine, ce qui laisse planer un doute sur le respect des conditions de travail et la potentielle exploitation liée. 

En résumé, Mattel reste une immense entreprise au cœur d’un système économique qui favorise l’ultra-rendement au-dessus du respect des travailleur.euses et utilise les sujets d’actualité et luttes sociales comme des choix marketing au lieu de s’imposer une véritable remise en question. 

Une oeuvre à la portée féministe efficace

Maintenant, on peut quand même s’interroger sur la portée politique et féministe du film. Au premier abord, il ne paye pas de mine. Néanmoins, même si plusieurs films et adaptations ont été réalisés autour de ce jouet connu par plusieurs générations, c’est la première adaptation en prises de vue réelle, mais également l’un des premiers destinés à un public plus large que les enfants. Il est drôle même pour des adultes parce qu’il met en scène un surréalisme fantastique digne d’un conte de fée, mais aussi parce que les personnages ont des caractères particuliers et des interactions qui frisent presque le ridicule. Pour les initié.es du féminisme, il n’apprend rien, et on a l’impression de voir la mise en scène d’un discours sans cesse répété et peu écouté. Depuis cette perspective, le regarder sans aucune attente est sûrement indispensable pour passer un bon moment. Il y a néanmoins certaines choses qui sont à souligner. 

D’abord, un élément très intéressant est la représentation du malaise que provoque le male gaze (article du média BRUT sur cette notion) sur le corps des personnes sexisées. Rares voire inexistants sont les films qui le mettent en scène aussi explicitement. Barbie, lorsqu’elle se retrouve dans le monde humain, se retrouve à faire du rollers avec Ken sur les bords d’une plage californienne. Alors qu’ils passent à côté de beaucoup de gens dont des hommes les scrutant, Barbie décrit ressentir un profond inconfort face aux regards insistants, avec le sentiment viscéral qu’on ne lui veut pas du bien, et finit même par vivre une violence sexuelle (contre laquelle elle se défend d’un merveilleux coup de poing bien placé). A côté de ça, Ken aime ces regards, se sent admiré et valorisé. Décrire une émotion aussi complexe que ce malaise dans un film grand public en le considérant comme un élément à part entière du sexisme et des violences envers les personnes sexisées, ça fait quand même vachement plaisir car au quotidien, c’est l’une des choses qu’on vit ou anticipe le plus. 

Également, les hommes sont moqués tout au long du récit, et retourner les arguments des hommes comme “les femmes se victimisent” contre eux est une idée brillante qui est représentée de la manière la plus comique possible. Je crois n’avoir jamais vu un film le faire aussi pertinemment, et ça fait beaucoup de bien. Ça souligne l’idée que les hommes n’ont pas conscience de l’impact de la présence des femmes pour gérer leurs propres consciences, émotions, vies, comme un rappel à la charge mentale que ça provoque, et qu’ils préfèrent se victimiser et responsabiliser les femmes, qui le font déjà très bien seules à cause de la pression sociale.  

C’est également un film qui possède tous les codes stéréotypés de la féminité, mais qui reste énormément visionné, par une immense variété de profils. Il est hélas beaucoup moqué pour s’inscrire dans une ultra-féminité décomplexée, mais on assiste tout de même à une très large audience conquise. Beaucoup des films féministes sont des œuvres niche, qui tentent la représentation parfaite d’un personnage, d’une idée, d’un contexte, avec une forme cinématographique esthétique, belle ou en tout cas pertinente. C’est évidemment nécessaire, mais ça a tout de même un impact moindre, car elles sont moins vues. Barbie révolutionne à sa manière l’image du féminisme mainstream et plus généralement des femmes et minorités : bien qu’imparfait, la représentation de corps variés reste présente, le discours féministe est clair et explicite, il incite à une réflexion qui n’est pas abstraite car elle se veut efficace. C’est le film parfait pour initier la conversation autour de la charge mentale, de la présence des femmes dans la société, de la féminité, des codes genrés, de la pression, du sexisme, etc, notamment pour les personnes qui ne s’intéressent pas au féminisme, quelles que soient leur génération et leur genre. Il n’établit pas une complexe théorie politique et militante, et il ne cherche pas à le faire. Il touche simplement un nombre immense de personnes avec un discours qui vaut le coup et est accessible. Il reste drôle et touchant, même en abordant des sujets parfois complexes, ce qui fait que tout le monde peut passer un bon moment et en retirer quelque chose. 

En conclusion, Barbie n’est définitivement pas l’illustration d’un féminisme efficace et radical, mais je crois qu’il faut également accepter que la radicalité ne permet pas forcément d’être entendu par les non-initiés, concernés ou non par les thématiques. Aborder certains sujets sous des formes plus légères et travailler le discours pour le rendre accessible permettent parfois de transmettre plus efficacement des messages que des argumentaires théoriques développés. Les deux sont nécessaires. C’est un film qui fait du bien, qui fait pleurer, qui rappelle la performance d’une féminité qu’on nous impose, avec laquelle on cède, on coopère, on joue ou contre laquelle on se heurte. Il souligne les différences sexistes de traitements et de comportements en exagérant les traits et les propos, mais reste pertinent et efficace pour se laisser comprendre. 

Je vous conseille d’aller le voir avec vos grands-mères, vos mères, vos tantes, vos nièces, vos filles, vos cousines, vos amies et avec toute personne qui est ou a été concernée par la féminité forcée et le sexisme, parce qu’il laisse un baume au coeur qui fait du bien !

Par Romane Galopin

Dernière modification le 16/08/2023 à 12h09

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